Je vis entre deux mondes, voire trois. A la Réunion, je suis zorey. A Madagascar, vazaha. Je viens du péi la fré, le pays des droits de l’homme, de la liberté ? Le 20 Desamb, la fêt kaf est un jour férié à la Réunion. La fête de l’abolition de l’esclavage, la fête de la liberté, supplante le 14 juillet depuis 1848. Le maloya revit. On y entonne les maux de l’Histoire à la manière d’un Firmin Viry : « Faut dire la vérité, la liberté kosa i lé ? ».

Depuis plusieurs années et envoûté par les rythmes salegy de Madagascar, je fêtais tous les ans dans « mon île », la Réunion, l’indépendance de Madagascar. A chaque Fety gasy, je partais à la découverte d’invités prestigieux venus de l’île Mère : Eusèbe Jaojoby, Jerry Marcos, Wawa, Rivera… Le 26 juin 2016, j’ai fêté pour la première fois la fête nationale malgache à Madagascar.

Nous sommes la veille du 26 juin à Mahajanga, la plus grande ville de louest de Madagascar. Il y a des drapeaux tricolores, blanc, rouge et vert, à chaque commerce, à chaque habitation. Une kermesse est ouverte depuis plus d’une semaine en centre-ville. L’entrée est gardée par des militaires armés de kalachnikov qui nous rappellent l’instabilité politique du pays. Je suis avec ma compagne. L’armée nous accueille avec un grand sourire, je suis le seul vazaha dans la kermesse ! L’entrée coûte 200 ariary, la moitié d’un ticket de bus. L’ambiance est jeune, joyeuse et populaire. Soudain un mouvement de foule éclate. Une centaine de jeunes défilent au pas de charge à l’intérieur de l’enceinte. Un jeune s’est fait arracher son portable, la scène est surréaliste : deux militaires débordés suivent le cortège. Un, deux, trois tours de kermesse puis la manifestation sauvage s’arrête, chacun regagne sa gargote.

Dimanche 26 juin au matin… L’avenue de la libération est fermée à la circulation. Un podium a été dressé devant la mairie. Madagascar exhibe sa modeste force de frappe. L’armée, la police mais aussi les écoles défilent de l’avenue du 14 octobre à l’avenue Philibert Tsaranana. Les commandos de la Police Nationale impressionnent la foule lorsqu’ils déploient leurs cagoules noires face aux notables de la région Boeny. Le ton est hautement patriotique : les écoliers en uniforme défilent au pas derrière un porte-étendard. Chaque établissement se distingue par sa tenue et sa couleur. Je demande à un militaire si je peux prendre des photos, pas de problème, c’est la fête aujourd’hui. Mais pas pour longtemps…

L’après midi nous regardons la huitième de finale de l’Euro à la case sur TVM, la télévision nationale. La France affronte l’Irlande. La France marque et gagne, la bouteille de rhum Dzama cuvée noire prestige en prend un coup ! La fête est double, la France est qualifiée. Nous retournons à la kermesse, c’est le dernier jour des promotions au stand Dzama… De retour à la case, nous allumons le poste. La fête prend fin.

Une grenade artisanale a été lancée dans la foule à Antananarivo sur la pelouse du stade municipal de Mahamasina où se tenait un concert gratuit. Après la prestation de Jerry Marcos, célèbre chanteur de salegy et alors que la chanteuse Stéphanie préparait son entrée, vers 19 heures 15 heure locale, dans l’obscurité, une trentaine de minutes après le départ du président de la République Hery Rajaonarimampianina et en direct sur TVM, la télévision nationale ! Le bilan est lourd : trois morts et presque une centaine de blessés. Un triple attentat en fait : un autre engin avait été jeté dans la matinée dans le jardin d’Anosy face au Service des statistiques, une autre grenade dans la cour du Sénat la veille mais ces deux attentats parallèles n’ont pas fait de victimes. Un homme est arrêté aux abords du lac d’Anosy, il ferait partie d’un groupe de quatre terroristes. Il n’a pas lâché un mot, et plaide la folie. Le gouvernement parle d’attentat politique prémédité et désigne l’opposition. Un colonel-sénateur proche du clan Andry Rajoelina, Lylison René de Rolland est en cavale, poursuivi par le pouvoir pour avoir voulu organiser « une journée ville morte » à Antananarivo. Et le spectre de Marc Ravalomanana… Quant à l’opposition, elle accuse le gouvernement. Le calendrier des évènements est troublant. Antananarivo est en pleine préparation du sommet de la Francophonie où sont attendus en novembre de nombreux chefs d’état dont François Hollande. C’est la liberté qui était ciblée, sa jeunesse, l’avenir de Madagascar : ils avaient 21 ans, 16 ans et 14 mois.

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